Manuel pratique de la communication de crise

Vous cherchiez un cours magistral sur la communication de crise ? Christophe Lachnitt revient ici sur la manière dont les organisations peuvent et doivent aborder ce sujet. Un épisode riche, illustré d’exemples, fruits d’une longue expérience. Une conversation avec Hubert Callay d’Amato.


Christophe Lachnitt est consultant et conférencier. Il intervient sur des sujets tels que l’optimisation de la stratégie, l’organisation et la performance des directions de la communication et du marketing. Il a été DirCom chez Naval Group et chez Alcatel, ainsi que Directeur Marketing et Communication chez Microsoft.

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Cet épisode a été conçu et réalisé par Paroles de Leaders pour en partenariat avec Dunod à l’occasion de la publication a 9e édition du Communicator, l’ouvrage de référence sur les métiers de la communication. Les podcasts et de vidéos produits par Paroles de Leaders constituent la version augmentée de l’ouvrage, « Toute la communication pour un monde plus responsable », à retrouver sur le site de Dunod.

Dunod Communicator Paroles de Leaders ExtraMile

Transcription

Hubert Callay d’Amato : Bonjour Christophe, nous enregistrons ce podcast avec vous en pleine période de déconfinement et d’incertitudes. La crise n’est pas vraiment terminée, les conséquences du confinement sont encore devant nous. En tant que spécialiste et praticien de la communication de crise, nous avons donc envie de vous demander vos ressentis et vos réactions sur la manière dont les entreprises ont géré la crise. 

Christophe Lachnitt : Il me semble qu’il est intéressant de constater l’état dans lequel les entreprises sont entrées dans cette crise. L’une de mes études favorites, parmi toutes celles que je lis, est une étude annuelle publiée chaque année depuis 20 ans: c’est le Trust Barometer de Edelman. C’est une étude mondiale extrêmement sérieuse, qui montre que, lorsque les entreprises sont entrées dans cette crise, elles étaient les institutions auxquelles les peuples faisaient le plus confiance à égalité avec les ONG. En France, les ONG étaient jugées plus dignes international, il est quand même très significatif de voir que la confiance aux entreprises est équivalente à celle faite aux ONG. Les médias et les gouvernements étaient tous les deux un peu distancés par rapport à ces deux institutions.

Ce préalable étant posé, par rapport à votre question, il y a deux manières de répondre sur le comportement des entreprises durant la crise. Il y a une manière anecdotique, qui revient à prendre quelques cas emblématiques, et il y a une manière systémique, qui impose de regarder les données disponibles à ce sujet.

Je vais commencer par la méthode systémique qui permettra d’introduire ensuite quelques cas emblématiques.

Pour donner des indicateurs sur la gestion de la crise par les entreprises, je vais continuer à me référer à Edelman qui a, au mois de mai, publié à titre exceptionnel une étude dédiée à la perception des quatre institutions qu’ils analysent chaque année: les ONG, les entreprises, les médias et les gouvernements eu égard à la situation liée à la crise du covid.

Je vais me concentrer sur la situation en France qui est celle qui vous intéresse peut-être davantage. Ce que l’on  voit en France, c’est que la confiance dans les gouvernements et dans le gouvernement Français a augmenté, mais qu’elle a moins augmenté que dans d’autres pays, notamment des pays voisins comme l’Allemagne et la Grande Bretagne. Nous avons toujours cette situation de défiance qui caractérise un peu la relation des Français au pouvoir en ce moment. Nous sommes aussi l’un des seuls pays dans lequel  la confiance dans les entreprises n’a pas augmenté. Le niveau de confiance dans les entreprises est resté le même que ce qu’il était, ce qui est plutôt surprenant par rapport aux autres pays.

Si l’on prend une perspective internationale, on s’aperçoit qu’il y a une forte déception à l’égard des entreprises. Plus en détails, on remarque par parmi les dirigeants des institutions qu’étudie Edelman, le PDG sont considérés comme les plus décevants, par rapport aux attentes placées en eux. Seulement 29% des personnes interrogées à l’échelle mondiale considèrent qu’ils ont fait un travail remarquable, ce qui constitue le score le plus bas. 

Comment analyser cet état de fait ?

En premier lieu, il me semble que c’est évidemment la conséquence du niveau de confiance que j’ai évoquée dans mon propos liminaire à l’égard des entreprises. Plus les attentes sont fortes à l’égard d’une institution ou de ses représentants, plus ces attentes peuvent être déçues. Il se trouve qu’à l’égard des dirigeants d’entreprise les attentes sont encore fortes, puisque 65% des personnes interrogées par Edelman en avril dans l’étude publiée au mois de mai estiment que les dirigeants d’entreprises devraient prendre les choses en main dans la gestion de la pandémie. L’ attente est donc extrêmement forte.

Deuxième point, on s’aperçoit que les entreprises ne recueillent pas une majorité d’assentiment dans trois domaines assez essentiels. La première est la disponibilité de leurs produits dans cette période de crise. La deuxième est la protection des collaborateurs. La troisième est la préparation du rebond post-crise. Dans ces trois domaines, les entreprises obtiennent respectivement 47, 44 et 42% de jugement positif, en dessous de la majorité.

Cela m’amène à évoquer un point qui peut aussi peut-être expliquer la déception à l’égard des entreprises dans cette période de pandémie : ce sont les gouvernements qui ont été en première ligne pour gérer la crise. Nous avons vu le retour de l’Etat-providence et des missions régaliennes de l’Etat. Et pour la perception à l’égard des entreprises, on peut aussi penser, comme cela se reflète dans les trois chiffres que je viens d’évoquer, qu’elle est teintée par le fait que les personnes interrogées ont sur les entreprises à la fois un regard de consommateurs et un regard de collaborateurs. Les entreprises sont jugées à l’aune de cette double perception, ce qui peut peut-être expliquer une part de la déception par rapport à des attentes qui étaient très élevées.

Cette analyse systémique succincte étant posée, j’ai réfléchi à quelques cas exemplaires d’un côté positif ou négatif. Je voudrais partager avec vous deux cas qui symbolisent ce que je pense de la gestion de crise en général par les entreprises. J’ai pris deux cas de groupes hôteliers car ce sont deux cas emblématiques et qu’évidemment les groupes hôteliers figurent parmi les secteurs d’activité les plus touchés par cette crise. 

Je vais commencer par le cas positif. C’est un groupe hôtelier du nom de Win Resorts,  qui possède notamment des hôtels casinos à Las Vegas.. Qu’ont-ils décidé de faire ? Ils ont décidé de continuer à payer leurs salariés pendant toujours la période de fermeture de l’établissement, et non seulement à payer leurs salaires, mais aussi leurs pourboires. Evidemment, on sait que dans ces métiers et surtout aux Etats-Unis les pourboires représentent une part significative de la rémunération des personnes concernées. C’est une mesure qui leur coûte 8 millions de dollars par jour alors que leurs établissements sont complètement fermés.

En parallèle, ils ont été très actifs dans leurs communautés locales en faisant des dons de centaines de milliers de masques mais aussi de dizaines de milliers de repas préparés dans les restaurants par les équipes de cuisine de leurs établissements.

Ce qui est intéressant dans cet exemple ‘est que le groupe Win a connu des crises récentes notamment avec le départ de son fondateur pour une histoire de scandale éthique, mais que dans cette crise, il a un peu retrouvé ses fondamentaux, c’est-à-dire l’application de ce qu’il considère et communique comme étant sa raison d’être qui est de prendre soin de ses parties prenantes.

Ce faisant, dans le traitement qu’il a eu de cette crise, le groupe Win et son nouveau patron ont donné à la fois du sens non seulement à la gestion de la crise mais aussi à ce que l’entreprise sera lors de son retour en activité. A la fois ses collaborateurs qui ont bénéficié de ce traitement assez exceptionnel surtout lorsque l’on connaît l’environnement du monde du travail aux Etats-Unis et ses parties prenantes qui ont pu en être informées verront avec un œil particulier la sortie de crise et la reprise d’activité du groupe Win. 

En regard de ce comportement plutôt exemplaire, même si aucune entreprise n’est évidemment jamais parfaite, on peut évoquer le groupe Marriott. C’est un groupe d’une toute autre envergure que Win. Marriott est la plus grande chaîne d’hôtels au monde et a réalisé l’an dernier plus d’1,2 Mds de bénéfice.

Ce qu’a fait Marriott est assez intéressant à la fois en termes de gestion de crise et de com de crise. Il a commencé par publier une vidéo très émouvante et très empathique de son PDG qui se trouve être atteint d’un cancer où il apparaît chauve en raison des traitements de son cancer et où il fait le lien entre sa situation personnelle et la crise que vit à la fois le monde entier et en particulier les collaborateurs du groupe. Lorsque j’ai vu cette vidéo que j’ai d’ailleurs relayée sur mes canaux, je me suis dit qu’il s’agissait d’un bel  exemple de management empathique et de prise en compte des parties prenantes.

Pourtant, on s’est ensuite aperçu que la communication était beaucoup plus reluisante que les actions. A l’inverse de Win, Marriott a mis à pied la majorité de ses collaborateurs américains. On sait qu’aux Etats-Unis lorsque des salariés sont mis à pied, leur accès à  l’assurance maladie en mis en danger, ce qui est évidemment une décision lourde de conséquences dans le cadre d’une crise sanitaire. Parallèlement, le groupe Marriott a décidé de payer plus de 160M de dollars de dividendes à ses actionnaires en même temps qu’il mettait ses collaborateurs en difficulté. Et troisième action prise dans la même séquence, il a proposé d’augmenter la rémunération de son PDG. 

Ce qui est intéressant est que l’on ne peut pas juger une communication de crise de manière décorrélée des actions prises par les entreprises. J’aime bien employer un néologisme qui est qu’à côté de communication, il faut parler de « communic’action. » D’un côté on communique et de l’autre les entreprises agissent. Certes, et surtout dans des situations de crise, la communication des dirigeants peut être performative, mais elle ne peut pas pour autant être déconnectée de la réalité des entreprises. 

Autre liaison intéressante, étymologiquement au XIVe siècle, communiquer voulait dire « mettre en commun”. On retrouve, dans le mot communication, la même racine que dans “communauté”. Il est important à mes yeux que la communication d’une entreprise soit en permanence, et particulièrement en période de crise, aussi destinée à refléter le rôle de l’entreprise vis-à-vis de ses communautés.

A cette aune, la vidéo de Marriott était beaucoup plus empathique, émouvante et forte que les vidéos diffusées par le PDG de Win qui a lui aussi utilisé ce support pour expliquer ce qu’il faisait. Les vidéos étaient moins bien produites et encore une fois le PDG de Win avait moins d’empathie dans son discours que celui de Marriott, mais in fine, lorsque l’on ne regarde pas seulement la communication mais aussi la « communic’action », la communication de crise de Marriott risque de produire plutôt un effet boomerang en premier lieu vis-à-vis de ses parties prenantes internes. 

Hubert Callay d’Amato : L’autre jour nous recevions sur Paroles De Leaders une spécialiste de la communication financière, Stéphanie Lacan Tabouis, de Publicis. Elle nous disait justement qu’aujourd’hui la communication financière avant changé notamment sous l’impulsion des réseaux sociaux, puisque l’on ne peut plus tellement se permettre de communiquer sur l’augmentation du PDG ou le partage de dividendes en même temps que l’on décide d’un plan social. Cela tombe sous le sens, mais comment expliquer qu’une entreprise mondiale comme Marriott connaisse un faux-pas de ce type ?

Christophe Lachnitt : C’est d’autant plus étonnant que le PDG de Marriott était aussi je crois co-président de l’initiative Business Round Table qui l’été dernier aux Etats-Unis avait décrété que que désormais toutes les parties prenantes d’une entreprise devaient revêtir et avoir la même importance dans son management. Cela allait à l’encontre de la pensée dominante qui voulait que les marchés financiers et les actionnaires de l’entreprise soient les parties prenantes les plus importantes.

C’est même d’autant plus étonnant que la communication du groupe Marriott sur le rôle des communautés, des parties prenantes et sur l’empathie ne date pas de cette crise, elle est ancienne. 

Pour élargir un peu la question, je pense que les entreprises qui s’en sortent le mieux dans cette crise et dans toutes les communications de crise, sont celles qui sont authentiques, c’est-à-dire qui continuent à se comporter comme elles se comportaient avant la crise et qui se comportent de manière cohérente pendant la crise entre ce qu’elles font et ce qu’elles disent. Ce sont aussi les entreprises qui donnent du sens. Celles qui ne le font pas transforment  leur communication de crise en crise de communication. Elles ajoutent une nouvelle crise – de communication- à la crise qu’elles essayent de gérer.

Il me semble que pour beaucoup entreprises cette pandémie va être un moment de vérité et un juge de paix pour la cohérence entre les paroles et les actes. On parle beaucoup de « raison d’être » depuis quelques mois et quelques années dans le domaine corporate, et il est évidemment plus difficile d’être en ligne avec la raison d’être que l’on affiche lorsque l’on traverse une crise comme celle-ci. Je pense que toutes les crises majeures sont des crises d’identité dans le sens où elles remettent en question l’identité projetée par une entreprise, une institution ou un gouvernement, et la réalité au quotidien de cette identité. C’est, me semble-t-il, ce que l’on observera pour plusieurs entreprises au sortir de cette crise.

Hubert Callay d’Amato : Avec votre expertise de communicant, quels conseils donneriez-vous en priorité à un collègue en termes de communication de crise avant, pendant et après ?

Christophe Lachnitt : Avant de parler de conseils proprement dits, il y a des points communs et des points de différence. Je voudrais commencer par les points de différence qui sont liés au traitement de l’information et à l’évolution de ce traitement de l’information depuis la révolution numérique. Cela a un impact non négligeable en termes de crise.

Avant même de regarder ce traitement de l’information, ‘il faut considérer le type de crise que l’on essaye de traiter. Pour les communicants d’une entreprise, la situation est très différentes selon que la crise a été créée par l’entreprise  elle-même – on peut prendre l’exemple des dérives éthiques de Uber,- ou qu’il s’agit une crise que l’entreprise subit, mais dont elle n’est pas responsable, ce qui est le cas pour la crise du COVID-19 pour toutes les entreprises qui n’y ajoutent pas une crise supplémentaire par leur propre comportement.

Ensuite, il faut évaluer sa gestion de crise en fonction de la nature, de la gravité, et peut-être aussi et surtout du nombre et des types de parties prenantes concernées. Dans la gestion de la communication de crise, cela va avoir une grosse influence.

Puis il y a un dernier élément que je mentionne de temps en temps sur Superception et qui est à mon avis très important en termes d’image, c’est celui de se rendre compte si la crise confirme une perception négative déjà ancrée dans l’esprit des parties prenantes à l’égard d’une entreprise.Dans le cas d’Amazon, par exemple, la crise du covid a confirmé une perception ancrée chez beaucoup de parties prenantes eu égard aux conditions de travail des collaborateurs de l’entreprise. A l’inverse, une crise peut venir remettre en cause l’identité perçue d’une entreprise. Cette seconde hypothèse rend la situation potentiellement beaucoup plus grave. 

Ensuite, il y a des points communs liés au nouveau contexte de l’information.

Tout d’abord, nous vivons évidemment aujourd’hui avec les réseaux sociaux. Mais au-delà cet état de fait, il faut s’interroger sur les conséquences de ces réseaux sociaux en termes de gestion de crise.

J’espère de pas enfoncer de porte ouverte, mais tout le monde sait que l’une des caractéristiques des réseaux sociaux est de rendre les audiences actives. Cela signifie que l’on peut aujourd’hui révéler des crises sur les réseaux sociaux. Beaucoup de lanceurs d’alertes et de révélations viennent de l’intérieur d’entreprises ou d’institutions. C’était beaucoup plus rare  dans le passé. Et les crises engendrent beaucoup plus de conversations qu’avant.

Il me semble que la conséquence stratégique de cet état de fait ‘est qu’il est de plus en plus difficile voire impossible d’adopter une stratégie du silence comme il était encore possible de le faire il y a une vingtaine ou une trentaine d’années dans la gestion de crise. 

Autre conséquence des réseaux sociaux, et c’est ce que vous disiez par rapport à votre entretient avec la personne de Publicis, on retrouve aujourd’hui sur les mêmes plateformes, forums, carrefours de discussion et d’expression toutes les parties prenantes d’une entreprise. Evidemment, l’entreprise doit prendre cela en considération parce qu’alors qu’il était avant encore possible de définir des messages et d’adresser des messages un peu différents à différents types de parties prenantes, il faut aujourd’hui gérer la confluence de toutes ces parties prenantes sur les mêmes carrefours d’expression et de discussion. Cela a des conséquences majeures, notamment en période de crise.

Ces conséquences sont d’autant plus majeures que de nombreuses études ont montré que l’indignation et la colère sont les sentiments qui se répandent le plus vite sur les réseaux sociaux. Dès lors, il faut gérer cela et gérer aussi l’éventuelle propagation de ces sentiments d’une partie prenante à l’autre. Cet effet de contagion en termes de perception existe aussi au niveau géographique. Le fait que tout le monde se retrouve sur les réseaux sociaux veut dire qu’il n’y a plus de crise locale. La moindre crise locale aujourd’hui peut devenir une crise nationale et demain une crise mondiale pour une marque. Il n’y a plus de petite crise. Ce qui est considéré comme une petite crise par une grande entreprise, peut être considéré comme une crise énorme par l’une de ses communautés dans un secteur ou une communauté géographique et là aussi se répandre à travers les réseaux sociaux.

Ce sont plusieurs facteurs qui me semblent importants de prendre en compte quand on regarde le traitement de l’information et de la communication autour des réseaux sociaux.

Ensuite il y a deux éléments qui sont liés, le premier aux médias d’information. L’accélération du cycle de l’actualité, du fait des chaînes d’informations continues et des réseaux sociaux exige une rapidité et une agilité de plus en plus grandes dans la gestion de crise, ce qui n’est pas toujours en ligne avec les méthodes managériales et les process internes aux entreprises.

Et dernier point, on assiste à la montée en puissance de la manipulation de l’information. Dans les prochaines années,  les entreprises vont être touchées par les phénomènes que l’on voit autour des deep fakes, c’est-à-dire la manipulation de vidéos avec des technologies d’intelligence artificielle qui les rendent quasiment indétectables et demain complètement indétectables. Puis peut-être encore plus dangereux pour les entreprises, la manipulation des deep fakes, non pas avec des vidéos mais avec des audios : on pourrait assister à des manipulations notamment de bourse avec des faux enregistrements ou des enregistrements manipulés de dirigeants d’entreprise. C’est un gros risque à prendre en compte.

Cette introduction étant faite, pour venir à votre question sur les conseils, j’aime bien toujours aborder la communication de crise en trois priorités qui valent pour avant, pendant et après.

La première est de toujours essayer de commencer par comprendre tout ce qui se passe et de récupérer le maximum d’informations. Pourquoi ? Parce qu’évidemment l’une des recettes de la communication de crise, si j’ose appeler ça recette, c’est de toujours essayer d’anticiper les coups d’après. Il faut toujours essayer de comprendre où la crise va aller, notamment en termes médiatiques. Quelle histoire risque de se raconter ? Quel rebondissement risque d’arriver ? Pour comprendre et anticiper ces rebondissements, il faut avoir une vue la plus télescopique et périphérique possible sur tous les éléments de la crise. Encore une fois, cela permettra d’anticiper dans la communication et dans la gestion de crise les coups d’après et d’éviter un éventuel feuilletonnage.

Toujours dans ce domaine de recueil et de gestion de l’information, je pense qu’il est aussi très important que les communicants dans la gestion de crise participent à la prise de décision sur le fond de la crise. En période de crise, il y a encore moins d’écart entre ce qu’une entreprise fait et ce qu’une entreprise dit. Il est aussi là très important d’anticiper et d’essayer de prendre le plus vite possible des décisions que parfois les dirigeants veulent repousser en se disant que la crise va se régler toute seule ou ne va pas aller à son paroxysme.

Mon expérience dit qu’il est toujours mieux de prendre le plus vite les décisions les plus douloureuses parce qu’elles coûteront toujours moins chères en termes sonnants et trébuchants et en termes d’image à l’entreprise si elles sont prises rapidement, que si elles sont prises au terme de 15 rebondissements d’une crise qui va affecter le moral des collaborateurs en interne, coûter de plus en plus cher à l’entreprise et détruire sa valeur en termes de marque.

Deuxième priorité en termes de gestion de com de crise, c’est de communiquer de manière la plus transparente possible, y compris sur ce qu’on ne sait pas à un moment donné de la gestion de crise. Pour qualifier ou illustrer cet impératif, j’aime bien utiliser l’expression « On n’a qu’une occasion de faire une bonne première impression. » En communication de crise, on n’a pas l’occasion de faire une deuxième bonne impression. La première impression est celle qui est créée dans l’esprit des publics par la crise.

La première communication, notamment lorsque l’on communique sur une crise, doit être encore une fois la plus transparente possible et la plus honnête sur ce que l’on sait, ce que l’on ne sait pas, sur les responsabilités de l’entreprise, etc. Cette transparence se traduit aussi par le fait d’assumer ses responsabilités, de faire preuve d’empathie pour les victimes, de pas chercher à se cacher, de s’excuser lorsque cela est justifié, et de donner ainsi, par la transparence et l’attitude qu’on adopte, confiance aux parties prenantes de l’entreprise.

Cette transparence a un impératif :  la plupart du temps dans des situations de communication de crise, la communication des entreprises est plus centralisée parce que pour assurer cette transparence, cette empathie, il faut une cohérence extrêmement forte de l’entreprise. On réduit donc le nombre de ses porte-paroles, plutôt que de multiplier les sources d’’expression publique de l’entreprise.

La troisième priorité que j’essaie toujours de suivre en termes de gestion de crise, c’est celle de donner du sens. Donner du sens veut dire plusieurs choses.

Ça veut dire premièrement donner confiance dans la capacité de l’entreprise à résoudre une crise. Pour cela, il faut communiquer sur ce que l’on va faire non seulement pour résoudre la crise mais aussi pour s’assurer qu’elle ne va pas se reproduire de manière semblable. Evidemment une entreprise qui est confrontée à une crise et qui reste dans l’inaction, qui se cherche des excuses, qui ne cherche pas à tirer de leçons de cette crise et à la résoudre, ne donne aucun sens à cette crise et surtout, ne donne pas confiance à ses parties prenantes. Il faut montrer, démontrer ce que l’on fait pour résoudre la crise et éviter qu’une autre crise se reproduise.

Dans ce domaine j’ai toujours deux axiomes fondamentaux. Numéro un, il faut toujours risquer d’en faire trop plutôt que de risquer de pas en faire assez, à la fois sur les actions et sur la communication. Et deuxièmement, il vaut mieux toujours faire bien et vite que chercher à faire parfait en prenant plus de temps.

Donner du sens, au-delà de l’action dans la gestion de crise, c’est aussi toujours essayer d’imaginer le monde d’après. C’est très important notamment vis-à-vis des collaborateurs de l’entreprise qui est concernée par la crise.  Evidemment, cette réflexion sur le monde d’après doit être menée de manière cohérente avec l’identité de l’entreprise et avec sa vision et sa stratégie sur la durée. C’est ce qui permet à cette réflexion d’être authentique. Et, c’est un présupposé toujours utile en période de crise, elle doit être le plus collective possible, c’est-à-dire impliquer autant que faire se peut les collaborateurs de l’entreprise.

Dans la communication, on explique souvent  qu’en termes de réputation “on monte par l’escalier et on descend par l’ascenseur”. Ce qu’il faut éviter, avec la communication de crise et les trois priorités que j’ai essayé d’évoquer, c’est de faire en sorte que cette descente en ascenseur ne soit ni trop rapide ni trop profonde, et que l’on se mette en position de reprendre une marche rythmée dans l’escalier une fois la crise passée.

Hubert Callay d’Amato : Vous citiez tout à l’heure le fait que les communicants doivent être parties prenantes au processus de décision pendant une crise. Une crise n’est pas que la gestion de la communication ; cela concerne l’ensemble des directions de l’entreprise, et suppose donc une coordination. Lorsque l’on est au milieu d’une crise, il est souvent trop tard pour prendre des décisions sur la façon de se coordonner. Est-ce que vous pouvez partager quelques enseignements tirés de votre propre expérience professionnelle sur le sujet ?

Christophe Lachnitt : Il se trouve que lorsque j’étais directeur de la communication du groupe DCNS à l’époque, aujourd’hui Naval Group, le président du groupe m’avait aussi confié la gestion des crises au sens global, c’est-à-dire dans tous leurs aspects, business, techniques, juridiques, financiers, sociaux, etc. J’ai eu cette mission pendant toute ma durée chez Naval Group donc pendant 7 ans, et nous avons géré les crises – pour celles que je peux évoquer parce qu’elles ont été publiques – comme des problèmes techniques sur des navires. Les navires en question sont des sous-marins nucléaires ou le porte-avion Charles de Gaulle, avec des problématiques, qui, sur le plan technique, me dépassaient de très loin. C’est l’un des enseignements sur lesquels je reviendrai tout à l’heure. 

Nous avons aussi  dû gérer les suites de l’attentat de Karachi, tristement célèbre parce qu’il a causé  la mort de plusieurs collaborateurs du groupe. Nous avons aussi géré quelques faits divers. Par exemple, j’ai géré avec l’équipe l’extraction de collaborateurs du groupe de Mumbai en Inde lors des attaques terroristes qui avaient duré 4 jours sur plusieurs hôtels de la ville.  J’ai géré aussi l’extraction de collaborateurs du groupe qui étaient à Concepción au Chili lorsqu’il y a eu un tremblement de terre de magnitude 8,8 et un tsunami. J’ai aussi, évidemment, géré  toutes les crises industrielles, sociales et autres que peuvent connaître des groupes de cette taille.

Cette expérience m’a permis d’apprendre énormément, à la fois sur la gestion de crise globalement et sur le rôle de la communication en interaction avec les autres directions. J’en ai tiré 4 enseignements.

Le premier est évident et je ne le développerai pas : un gestionnaire de crise doit être calme et avoir une bonne résistance nerveuse. Cela aide évidemment dans les périodes les plus agitées et les plus compliquées, pour prendre les bonnes décisions.

La deuxième qualité du gestionnaire de crise est d’avoir le sens de l’intérêt général de l’entreprise par rapport aux intérêts individuels de ses organisations et de ses dirigeants. On s’aperçoit que l’importance de la transversalité est accrue en gestion de crise parce que les crises exacerbent les différences d’intérêts, les réflexes de protection, les rivalités. Les crises exacerbent le stress et donc les émotions de chaque membre de l’entreprise.

Troisième leçon et qualité du gestionnaire de crise, c’est d’avoir une certaine disposition qui lui permet de ne pas hésiter à dire des choses qu’ils n’ont pas envie d’entendre aux dirigeants. Souvent dans les crises, il se passe beaucoup de choses qui vont à l’encontre du déroulement idéal d’un plan stratégique ou d’un plan opérationnel, et il est important que les dirigeants soient au courant, y compris de ce qui ne va pas leur plaire et qu’ils soient aussi confrontés à des choix décisionnels qui soient clairs. On ne doit pas se mettre dans la posture de leur dire que ce qu’ils ont envie d’entendre, parce c’est vraiment délétère dans ce type de situation.

Dernier point, et probablement  le plus important pour moi en tant que communicant, qui, par définition ne sait rien sur rien : en situation de crise, on gère des dimensions extrêmement diverses, commerciales, business, financières, juridiques, techniques, sociales et autres. Evidemment, personne n’est compétent sur tous ces domaines de manière égale. La quatrième qualité d’un gestionnaire de crise est donc  d’être lucide sur son incompétence. Elle peut être complète comme dans mon cas, elle peut être partielle pour ceux qui viennent du domaine juridique, financier et autres. Le rôle du gestionnaire de crise, ce n’est pas d’être compétent sur tous les domaines mais d’organiser la gestion de la crise, donc d’avoir une approche et une valeur ajoutée notamment méthodologique. Qu’est-ce que cela veut dire ? Ça veut dire recueillir les informations les plus pertinentes. En gestion de crise on prend des bonnes ou des mauvaises décisions en fonction des informations que l’on recueille et que l’on fait passer au PDG pour les décisions ultimes. Ça veut aussi dire traiter ces informations, les trier, les hiérarchiser, etc. Ça veut dire ensuite les faire circuler. J’ai appris de mon passage chez Microsoft que Bill Gates a un précepte à ce sujet. Il dit toujours que les mauvaises nouvelles doivent circuler plus vite que les bonnes. En situation de crise, c’est encore plus vrai. 

Puis une fois qu’on a géré ce cycle de l’information, il faut mettre en place la méthodologie et le meilleur processus pour la prise de décision, le rythme et le moment de la prise de décision. Evidemment, tout cela est absolument décisif en gestion de crise. On peut prendre la meilleure décision du monde, si on la prend trop tard ou trop tôt, ça peut largement handicaper la gestion de crise.

Quelles sont les personnes qui doivent être impliquées dans la gestion de crise, dans le recueil des informations ? Auprès de quelles personnes doit-on récupérer ces informations ? Quelles sont les personnes qui doivent être impliquées dans les débats sur les prises de décisions ? Si trop peu de personnes sont impliquées, le risque est  de passer à côtés de certaines dimensions de la crise. Si l’on veut impliquer tout le monde, on sera moins efficace.

Puis comment organiser le débat autour de ces prises de décisions afin qu’elles soient efficaces mais aussi que tous ceux qui doivent être impliqués se sentent engagés dans ce qui va être décidé.

Et dernière partie,  il faut mettre en place la bonne méthodologie pour surveiller l’application des décisions qui vont être prises. Je me réfère toujours à une citation d’Atatürk que j’avais lue il y a très longtemps : il disait que celui qui applique une décision, au fond a davantage de pouvoir que celui qui la prend. C’est vrai dans le monde nominal de la vie d’une entreprise, c’est encore plus vrai dans une gestion de crise où la moindre application d’une décision peut faire la différence.

Après, ou avant d’ailleurs pour être plus précis, la gestion de crise est comme le sport. Une compétition se gagne beaucoup à l’entraînement, et une gestion de crise se gagne beaucoup en amont. Il faut préparer notamment tous les processus les plus importants, c’est-à-dire la stratégie de gestion de crise, ainsi que les éléments qui peuvent paraître les plus anodins, c’est-à-dire la logistique, la salle de crise, la mise au clair de tous les contacts des gens qui peuvent être potentiellement impliqués. Tous ces petits éléments de détails qui peuvent paraître anodins vont faire gagner ou perdre beaucoup de temps lorsqu’une crise va éclater. C’est aussi pour cela que l’on recommande toujours de tester régulièrement les processus et les équipes concernées, afin de s’assurer que les processus sont à jour et que les équipes concernées sauront les pratiquer, les utiliser et les mettre en œuvre lorsque ce sera utile et indispensable pour une bonne gestion de crise.

Hubert Callay d’Amato : Merci pour ce vadémécum, qui a l’avantage d’être à la fois synthétique et incarné dans une expérience. Il y a un point que vous n’avez pas évoqué qui est la question des dirigeants et de leur rôle pendant les crises.

Christophe Lachnitt : Le rôle des dirigeants pendant les crises est évidemment décisif. Vis-à-vis de l’extérieur, le dirigeant incarne l’entreprise et sa réponse à la crise. En interne,  il les incarne de manière encore plus forte.

Avant de tirer des leçons, on peut prendre 2 exemples très emblématiques, qui ont fait date dans l’histoire de la gestion de crise.

Le premier date de 1982. Il s’agit de la crise de Tylenol, qui est un produit antalgique de Johnson & Johnson. Pourquoi cette crise a fait date ? Parce que le dirigeant de l’entreprise a décidé d’appliquer le principe que j’évoquais plus haut, et que Johnson & Johnson a en quelque sorte inventé : il vaut mieux en faire trop que pas assez. 

Cette crise est née du fait que quelqu’un avait introduit du cyanure dans des gélules du médicament Tylenol, elles-mêmes véhiculées et produites dans des flacons. Sur la durée de la crise, il y a eu 7 morts qui ont ingéré ces gélules qu’elles pensaient riches en paracétamol et qui étaient aussi malheureusement riches en cyanure.

Les dirigeants de Johnson & Johnson n’ont pas cherché à se protéger ou à se soustraire à cette crise dont ils n’étaient pas du tout responsables pour le coup. C’était vraiment une crise exogène, ce n’était pas un défaut de production qui aurait créé la dangerosité de ce produit. C’était, de plus, un produit extrêmement important pour Johnson & Johnson puisqu’il représentait 17% du résultat net du Groupe. Au lieu d’essayer de se protéger, les dirigeants du groupe ont tout fait pour essayer de gérer au mieux la crise et protéger leurs clients.

Je donne quelques exemples. Ils ont pris des mesures nationales au lieu de se contenter de mesures locales, étant donné que seule la région de Chicago avait été touchée par l’insertion du cyanure dans les gélules. Pourtant,  dès le départ, ils ont traité la crise comme une gestion nationale. Ils ont utilisé les médias, non pas pour se dédouaner et expliquer qu’ils n’étaient pas responsables de la crise, mais pour alerter au maximum les consommateurs sur les dangers qu’ils encouraient, et ce, au risque d’affaiblir la marque du produit et potentiellement la marque du groupe. Puis ils se sont dit que leur première responsabilité était celle de leurs clients. Ils ont immédiatement arrêté la production de Tylenol, ils ont retiré tous les produits du marché, soit l’équivalent de plus 100M de dollars. Ils ont organisé un rappel de tous les produits achetés par les consommateurs. Plus de 31M de flacons ont été rapporté, et ils ont fourni à tous ces consommateurs des produits de remplacement.

Comme je l’expliquais, cela a été le premier épisode de gestion de crise pour lequel la réponse a été à ce point radicale. La part de marché de Tylenol a fortement chuté puisqu’elle est passée de 35% à 8%, et beaucoup d’observateurs à l’époque ont expliqué que Johnson & Johnson allait tuer la marque Tylenol.

Or, dès qu’ils ont été réintroduits sur le marché,  après quelques temps, les produits Tylenol, loin de subir un impact négatif du fait de la crise, ont  au contraire bénéficié d’une confiance énorme, car les clients de Johnson & Johnson savaient que l’entreprise ferait  tout pour les protéger. Cette réintroduction a été mise en place dans le cadre de l’introduction d’un nouveau flacon avec une fermeture à triple sécurité qui était une première mondiale. Cela a permis à Johnson & Johnson de redresser sa part de marché en 1 an et de redresser son cours de bourse en 2 mois.

Il est intéressant de noter que cette priorité donnée aux clients potentiellement au détriment de la rentabilité du groupe reposait sur les fondations du groupe et sur le credo voulu par Robert Johnson lui-même en 1943 : donner la priorité aux clients. Nous avons là l’illustration du rôle positif d’un dirigeant d’entreprise dans la gestion de crise.

Par contraste, on peut mettre en exergue un exemple de rôle négatif, de gestion de crise ratée. La crise probablement la plus mal gérée de ces 15 dernières années est évidemment celle de BP avec l’explosion de sa plateforme pétrolière DeepWater Horizon au large de la Louisiane qui a fait 11 morts et qui a généré une immense marée noire.

La réaction a été tout à fait inverse de celle de Johnson & Johnson, c’est-à-dire que BP n’a pris aucune responsabilité. Ils ont commencé par blâmer leurs sous-traitants, ils ont ensuite cherché toutes les excuses possibles au lieu de s’excuser pour la catastrophe humaine, environnementale, animalière, etc., qu’ils créaient, ils ont aussi menti à plusieurs reprises sur la quantité de pétrole qui s’échappait de la plateforme dans l’océan. Comme je le disais tout à l’heure, ils n’ont ainsi pas pu créer de confiance dans la capacité du groupe à agir.

Cette attitude était d’autant plus surprenante que BP s’était rebaptisé Beyond Petroleum et se présentait depuis une dizaine d’années comme un parangon de vertu environnementale. Pendant cette crise, pourtant, l’entreprise a manifesté une absence d’empathie, de compassion humaine et animale avec des communications qui avaient toujours l’air d’avoir été rédigées par des avocats. J’ai rien contre les avocats. J’ai travaillé avec beaucoup d’avocats pendant des journées et des nuits sur la gestion de crise, mais il faut pas remplacer une profession par une autre.

Evidemment, cette crise est aussi connue pour avoir donné lieu à la déclaration la plus catastrophique de l’histoire de la communication de crise qui est le fait du PDG de BP, Tony Hayward. Il avait en effet déclaré, « Je voudrais récupérer ma vie d’avant la crise. » Il a récupéré quelques mois après sa vie d’avant la crise, puisqu’il a été conduit à démissionner, mais sa déclaration avait choqué par son manque absolu d’empathie, alors que des communautés entières dans le Golfe du Mexique étaient impactées en termes d’emploi, de revenus, que toute la faune et la flore souffraient catastrophiquement. On voit donc qu’il est illusoire pour des communicants de penser qu’ils peuvent corriger par une bonne communication, une mauvaise gestion de crise. La plupart du temps d’ailleurs, on voit qu’une mauvaise gestion de crise s’accompagne comme dans le cas de BP d’une mauvaise communication. L’origine est la même dans l’approche managériale et l’approche stratégique.

Pour terminer sur le rôle des dirigeants, on a beaucoup parlé de communication externe dans notre entretien. Je voudrais aussi un peu parler de communication interne qui est une facette très importante de la communication de crise et insister, dans ce domaine, sur le rôle des dirigeants. Evidemment, dans la gestion de crise il y a des enjeux de continuité d’activité, des enjeux business et stratégiques, mais il me semble que l’un des enjeux les plus importants sinon le plus important, c’est l’enjeu humain à l’égard des collaborateurs qui sont concernés dans le groupe par la crise.

A cet égard, il me semble qu’une communication interne de leaders en période de crise, du PDG aux managers intermédiaires doit accentuer certaines caractéristiques qu’une bonne communication interne doit avoir de tous temps. Evidemment il faut moduler les différentes caractéristiques que je vais citer en fonction de la nature et de la gravité de la crise.

En général, il me semble qu’une communication d’un dirigeant en temps de crise doit être encore plus empathique qu’en temps normal. Il doit prendre en compte le traumatisme potentiellement créé par la crise au sein de ses troupes. On le voit bien en ce moment avec toutes les conséquences de la crise du covid sur les collaborateurs des entreprises, le monde du travail, etc. Cette empathie signifie également que le dirigeant d’entreprise doit peut-être un peu moins personnaliser sa communication, et même s’il est très charismatique, laisser l’empathie prendre provisoirement le pas sur le charisme. A mon sens, la seule occurrence dans laquelle il doit avoir une communication très personnalisée, c’est s’il fait preuve de vulnérabilité et qu’il est prêt à partager l’impact de la crise sur lui-même, un peu ce qu’a fait le PDG de Marriott, évidemment à contre-courant et à contre-sens. Il peut être très utile pour les collaborateurs d’une entreprise de découvrir que le patron sait être vulnérable et sait communiquer sur ce que lui ressent aussi en période de crise.

Bien sûr, tout comme la communication externe, la communication interne doit être encore plus honnête et transparente en période de crise qu’en temps normal, si c’est possible.

Un autre élément très important dans la communication et le comportement des dirigeants est l’exemplarité. On ne peut pas en période de crise, encore moins qu’en période normale, appliquer une stratégie du « Faites ce que je dis, pas ce que je fais. » Nous avons vu l’exemple récent du directeur de la santé publique écossaise qui prônait le confinement à la télévision et se rendait dans sa résidence secondaire en période de confinement. C’est délétère en termes de confiance, d’image et d’engagement des collaborateurs.

Je l’ai dit aussi tout à l’heure, la communication doit être d’autant plus inclusive lorsque l’on est en période de crise. La sortie de crise se fera de manière solidaire et collective ou elle ne se fera pas bien. Il faut dépasser les silos horizontaux et aussi bien que les niveaux verticaux.

Je l’ai évoqué tout à l’heure, il est très important de donner du sens à la crise. Une crise créée au minimum de la désorientation, au pire du chaos au sein de l’entreprise. Il est donc important que la parole performative et prescriptive du dirigeant de l’entreprise donne du sens pendant la crise à ce que veut dire la crise, et qu’elle prépare la sortie de crise en imaginant ce que l’entreprise et son environnement peuvent devenir après cette crise. 

Hubert Callay d’Amato : Vous avez parlé de raison d’être. Chez Paroles De Leaders nous sommes passionnés par le rôle social des entreprises en général… 

Christophe Lachnitt : Magnifique, nous partageons ça !

Hubert Callay d’Amato :  … et on sait que de manière générale, toutes les entreprises qui sont attentives à leur notation environnementale et sociale sont plutôt des entreprises qui surperforment. On l’a vu avant la crise puisque Bloomberg l’avait rappelé. Mais même au plus fort de la crise, nous avons eu une étude de Bank of America Merrill Lynch qui indiquait que les entreprises les plus sociales surperforment de 5 à 10 points, ce qui n’est quand même pas rien, en bourse par rapport aux indices de référence. Notez-vous, dans le domaine de la gestion de crise et de la communication de crise, une même corrélation entre l’orientation sociale et environnementale d’une entreprise et sa capacité à mieux communiquer en période de crise ? 

Christophe Lachnitt : Tout d’abord, nous partageons ce constat et les données que vous communiquez sont tout à fait intéressantes et illustratives de cette conviction que nous sommes nombreux à partager. Il y a une autre étude que je voudrais mentionner et qui est l’étude Meaningful Brands de Havas. Elle montre, avec une antériorité très importante, que les marques porteuses de sens surperforment aussi en termes de valorisation boursière, d’engagement des collaborateurs, etc. Evidemment, les marques porteuses de sens généralement sont des marques dont l’engagement sociétal est au coeur de l’ADN.

Ensuite,  lorsque l’on fait la liaison avec la communication, le risque est de confondre les marques qui communiquent sur ces sujets avec les marques qui agissent sur ces sujets. On revient un peu à mon néologisme  de communic’action.

C’est ce qui rend  la crise actuelle intéressante.  Warren Buffett dit toujours que sur les marchés financiers, lorsque la vague se retire, on s’aperçoit de ceux qui portent pas de maillot de bain. C’est un peu similaire sur l’engagement sociétal des marques :  lorsque la  vague du covid va se retirer, on aura vu celles qui ont communiqué plus ou moins lourdement et plus ou moins subtilement depuis 2-3 ans sur leur raison d’être, leurs engagements, etc. et qui n’auront rien fait de cohérent avec cet engagement pendant la crise. Et on verra ceux qui font beaucoup et qui peut-être communiquent de manière moins forte ou moins importante.

Il y a un mouvement très important qui est parti des Etats-Unis, qui se développe dans d’autres pays et qui est notamment incarné en France par le groupe Danone : c’est le mouvement des B Corp. Ce sont des entreprises pour lesquelles la raison d’être l’emporte sur la rentabilité dans la définition de leur activité et y compris la définition de leurs risques légaux. Une entreprise normale aux Etats-Unis peut être attaquée par certains de ses actionnaires parce qu’elle aurait mis en danger de manière inutile sa rentabilité et donc le retour sur investissement pour ses actionnaires. A l’inverse, une B Corp peut être attaquée parce qu’elle aurait pris des mesures ou mis en œuvre des actions qui vont à l’encontre de la raison d’être qu’elle affiche.

C’est un retournement de logique. En France, Danone ambitionne d’être un des plus grands groupes B Corp dans la prochaine décennie. Danone a géré la crise du covid par exemple en ne prenant pas les soutiens financiers de l’Etat pour le chômage partiel ou en prenant d’autres mesures qui correspondent à cette approche très engagée de ces entreprises.

C’est un communicant qui le dit : il faut toujours faire attention à ce que les entreprises communiquent et regarder ce qui se passe derrière. C’est là où les réseaux sociaux ont une grande valeur parce que toutes les parties prenantes de l’entreprise peuvent s’y exprimer. On a donc accès à beaucoup plus d’informations pour surveiller ou vérifier la validité de leurs affirmations et de leurs assertions. C’est l’une des valeurs ajoutées, parmi d’autres valeurs ajoutées et inconvénients, du web social. 

Hubert Callay d’Amato : Merci Christophe !

Christophe Lachnitt : Avec plaisir Hubert, je vous en prie. Merci à vous de m’avoir invité.

Hubert Callay d’Amato : Tous nos remerciements à Christophe pour ce point de vue sur une sujet très important, celui du rôle de la communication dans le contexte d’une crise au sein des organisations, et notamment des entreprises. Sur ce sujet, je renvoie bien évidemment nos auditeurs à la toute nouvelle édition du Communicator qui est parue aux éditions Dunod. Si vous voulez suivre Christophe Lachnitt, je vous conseille également son site superception.fr où vous trouverez des interviews, des Talk TEDx et vous pourrez vous abonner à la newsletter hebdomadaire concoctée par Christophe.

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